Entretien donné au journal suisse Le Temps, paru le 5 mai 2023. Propos recueillis par Valérie de Graffenried.
Nicolas Baygert décrypte l’impact de ces participations insolites sur l’image et la crédibilité des décideurs.
Le spécialiste en communication à l’Université libre de Bruxelles (ULB), décrypte le phénomène de la participation de politiciens belges à des émissions de téléréalité.
Plusieurs ministres et chefs de parti se mettent en scène dans des émissions de divertissement. Que vous inspire cette tendance?
La téléréalité communique des normes sociales, des règles de conduite et des valeurs. Le candidat accepte de jouer le jeu. Or dans Special Forces, il est intéressant de noter la nature «militariste» du programme. La symbolique de l’effort physique (et du surpassement) semble importante aux yeux de Georges-Louis Bouchez. Le président du Mouvement réformateur (MR) avait déjà participé (et perdu), dans un passé récent – en avril 2021 – à un duel sportif télévisé avec Bart De Wever [bourgmestre d’Anvers, à la tête de la Nouvelle Alliance flamande, ndlr], dans le cadre de l’émission De Contai- ner Cup. Mais cette dimension guerrière pourrait être perçue comme «problématique», à une époque où la guerre constitue à nouveau une réalité tangible.
Le phénomène est surtout bien installé dans le nord du pays, dans les Flandres…
Il relève en effet d’un processus de peopolisation d’abord propre à la médiasphère flamande: les bekende Vlamingen (les Flamands connus). Un mélange des genres assumé, pratiqué par les élus, tous partis confondus. Il permet de sortir d’un anonymat politique, de prendre une autre dimension, de toucher un public plus large qui ne s’intéresse pas directement à la politique. Mais pour Georges-Louis Bouchez il est difficile de prétendre au rang de bekende Vlamingen sans la maîtrise du néerlandais.
La participation à ces émissions contribue-t-elle vraiment à rendre les politiciens plus populaires?
Georges-Louis Bouchez veut probablement, par le biais de cette participation, s’offrir une image plus «nationale», et de quoi peut-être faire de lui, ensuite, un «premier ministrable». Globalement, l’objectif consiste à engranger du capital sympathie et de la notoriété. Ici, pour Georges-Louis Bouchez, au vu du premier épisode le constat est amer. La génération de politiques belges actuelles varie fréquemment les registres de la performance ludique et du sérieux. Les présidents de parti n’y échappent pas, agissant parfois en «politiciens influenceurs» et en community manager d’abord au service de leur propre marque et notoriété.
La recherche de notoriété en s’exposant ainsi aux caméras peut aussi mener à un dégât d’image important. Ils prennent des risques.
Présenté comme une leçon d’humilité, le dispositif auquel on se soumet dans une téléréalité comme Special Forces peut déboucher sur une humiliation et donc un ternissement d’image. Cela peut provoquer une brèche dans la respectabilité du politique, d’un élu ayant abîmé sa marque dans ce «hors-piste» médiatique.
En somme, jugez-vous de telles participations à des émissions de téléréalité compatibles avec leur fonction politique? D’un point de vue purement légal, il n’y a a priori rien à redire. C’est de la communication politique détournée. Cela peut davantage poser problème – du point de vue de la dignité de la fonction et du respect des institutions – dans le cas d’un ministre.
L’exemple de Vincent Van Quickenborne, le ministre de la Justice qui a accepté de passer quatre jours en prison, est en ce sens plus «limite». Si l’objectif est pédagogique, c’est louable, mais si le politique ou les institutions se trouvent instrumentalisés dans une logique de spectacularisation, d’infotainment politique ou de personal branding, cela pose davantage question. ■
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