En ciblant les “couillons” du PTB, Magnette risque de connaître le même sort qu’Hillary Clinton : “Gare à l’effet boomerang”

Interview pour La Dernière Heure, parue le 15 mars 2024. Propos recueillis par Gauvain Dos Santos.

Pour Nicolas Baygert, l’insulte du président socialiste envers les cadres communistes met en marche une dynamique victimaire. “Tous ces récits d’humiliation qui ciblent soit l’électorat soit les représentants mobilise les électeurs”, analyse le docteur en sciences de l’information et de la communication.

Il faut voter pour des partis qui prennent leurs responsabilités et qui prennent des risques… Et pas pour des couillons comme ceux du PTB”. Cette phrase, c’est Paul Magnette (PS) qui l’a prononcée mercredi soir lors du débat des présidents de parti sur la RTBF.

De quoi donner du grain à moudre aux communistes le lendemain. Jeudi matin, l’extrême gauche s’est emparée cette formule pour la reprendre à sa sauce. “Paul Magnette a parlé avec son mépris habituel des milliers de membres, syndicalistes, militants et militantes du PTB” , a écrit le président Hedebouw. Dans la foulée, l’ultra-gauche a pondu le hashtag “NousSommesDesCouillons”. Du côté du PS, on relativise. “ Il s’agit d’une formule relativement populaire pour parler de froussards” , répond Frédéric Masquelin, porte-parole. “ L’intention du président était de souligner le fait que le PTB ne prend pas ses responsabilités sur la taxe des millionnaires.”

Il faut dire que l’usage d’insulte est assez inhabituel dans le débat politique belge. On se souviendra du député Jan Penris (Vlaams Belang) ayant fait un pas de côté après avoir insulté sa collègue de l’Open VLD Carina Van Cauter en 2021. Ou en 2023, du chef de groupe PS à la Chambre, Ahmed Laaouej qui avait traité le PTB de concierge du parlement. En 2022, le président du MR Georges-Louis Bouchez avait accusé la ministre de l’Énergie Tinne Van der Straeten (Groen) d’être une menteuse.

Pour Nicolas Baygert (Ihecs, ULB), l’emploi de cette formule peut être contre-productif . “Les dérapages verbaux ont toujours existé” , rappelle le docteur en science de l’information. “ Mais le recours à des discours radicaux est quelque chose que l’on observe normalement plutôt du côté des leaders populistes. Dériver vers l’insulte est aussi parfois une tactique en rhétorique pour désarçonner ou humilier son adversaire. Mais gare à l’effet boomerang.”

Selon l’enseignant à Science Po Paris, ce procédé a pour conséquence de détourner le débat vers les polémiques et de contribuer à la dégradation du débat. Mais surtout, Paul Magnette risque de s’aliéner des électeurs. “ Quand on recourt à l’insulte, on ne traite plus fondamentalement l’interlocuteur comme un adversaire mais comme quelqu’un qui n’est pas digne d’être du même rang que soi.”

Nicolas Baygert rappelle que c’est ce qui est arrivé à Hillary Clinton. Lors d’un débat en 2016, la candidate démocrate avait utilisé l’expression “ basket of déplorable” (“panier de déplorables”) pour décrire une partie des partisans de Donald Trump. “ Cela avait mis en marche une dynamique victimaire dans laquelle Hillary Clinton avait été catégorisée comme la représentante d’une élite qui snobait l’électorat populaire.”

De nombreux travaux ont été produits sur “ la dynamique d’humiliation” qui est souvent favorable aux partis radicaux. “ Tous ces récits d’humiliation qui ciblent soit l’électorat soit leurs représentants mobilisent les électeurs. Cela crée un lien émotionnel entre ceux qui se considèrent de cette communauté de couillons ou de déplorables aux États-Unis. On a affaire à un puissant outil narratif qui peut participer à une inversion des rôles et va décrédibiliser les représentants des partis traditionnels qui ne sont pas censés s’exprimer de cette manière-là.”

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Créez un site Web ou un blog gratuitement sur WordPress.com.

Retour en haut ↑