Storytelling royal : vers une abdication médiatique ?

Philippe bientôt roi ? Un climax royal encore avant le début des vacances ? Les rédactions des principaux médias du pays en rêvent et y contribuent avec zèle depuis des mois.

En cette année sans élections et hors-crise institutionnelle, la Monarchie doit pourvoir au vide journalistique. Un marronnier royal qui en 2013 semble littéralement dopé aux engrais. Excluons d’emblée l’ultra-bankable Prince Laurent (à qui les détenteurs d’une carte de presse devraient d’ores et déjà ériger une statue pour services rendus) comme cas à part. Dès janvier, c’est Fabiola ( !) qui boosta les ventes avec le sulfureux « Fons Pereos », nom choisi par la reine pour sa fondation, (qui renvoie au terme latin pereo : je meurs).

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Fabiola de Mora y Aragón en une des quotidiens francophones à 85 ans.

Abdiquez-vous !

Les Saxe-Cobourg-Gotha semblent connaître leur propre « annus horribilis » à l’instar des Windsor en 1992 (3 divorces princiers et un incendie). Ainsi, chaque semaine, la Famille Royale fait la une des médias avec, en point d’orgue, la thématique de l’abdication d’Albert II.

Plusieurs dates furent avancées au cours des derniers mois : 1er juillet selon la pythie en chef du Soir, 20 ou 21 juillet dans les autres rédactions. Glose prédictive en boucle ou récit co-construit ?

Le récit d’abdication s’inscrit dans un contexte symbolique : on célèbre les vingt ans de règne d’Albert II (qui feta ses 79 ans ce 6 juin). Un Roi qui, dit-on, fut marqué par le départ du pape Benoît XVI et par l’abdication de la reine Beatrix.

Les médias semblent avoir humé les effluves en provenance de Rome et d’Amsterdam. Burn-out papal et transition filiale, ‘abdication’ – sous forme de jetage d’éponge ou de retraite – est le vocable de l’année (là où ‘indignation’ fut celui de 2011). Le ras-le-bolisme fait médiatiquement recette. Même le Laekenolâtre Armand De Decker s’y mettrait « ouvrant la porte à une future abdication du Roi » : tout est prêt.

Des journalistes agenda-setter

La théorie de l’Agenda Setting de Mc Combs et Shaw [1] fait figure de classique dans les manuels de communication. L’idée centrale : la fonction des médias n’est pas de dire aux gens ce qu’ils doivent penser mais sur quoi ils doivent porter leur attention. Objectif framing [cadrage] resserré sur la monarchie. Mettre en forme un récit propulsé au sommet de l’agenda, une info « ficelée » par avance. Dans le cas du scénario de l’abdication, c’est en réalité de (très) grosses ficelles qu’il faut parler. Mais un journaliste isolé peut-il faire l’opinion ?

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Ces dernières semaines ont notablement vu Jean Quatremer remettre la mal gestion Bruxelloise à l’agenda politico-médiatique suite à son article au vitriol « Bruxelles pas belle » dans les colonnes de Libération, jetant quelques peaux de bananes (vraisemblablement oubliées par Bruxelles-Propreté) sous les premiers pas de Rudi Vervoort à la présidence de la Région.

Or, quid de Martine Dubuisson ? Voyante officielle du Soir et figure de proue du lobbying médiatique pro-abdication, la journaliste arpente depuis plusieurs années les plateaux des messes cathodiques dominicales (Mise au Point et Controverse) pour partager ses prédictions autour de la date fatidique. Lisant mieux que quiconque dans les entrailles des Saxe-Cobourg-Gotha, ses talents divinatoires semblent rivaliser avec ceux d’Elisabeth Tessier.

Aussi, c’est en partie grâce à son action que la monarchie quitta la catégorie de marronnier journalistique pour devenir le talking-point respecté. Entêtement monothématique, simple fond de commerce ? Le résultat est en tout cas optimal à en croire la hiérarchisation de l’information au Soir.

© Y. Piette
© Y. Piette

Gageons que compte tenu de l’assiduité de la journaliste et si tel était le récit officiel, le Palais pourrait aisément se passer de service presse.

Storytelling en deux phases

Pourquoi un storytelling autour de l’abdication semble-t-il nécessaire ? Une explication orthodoxe tout d’abord, offerte par le spécialiste de la monarchie Francis Balace : « ce n’est pas dans les habitudes parce que le mot abdication se rapporte chez nous à un échec de la monarchie qui a été le départ du Roi Léopold III en 1951 ». Soit. Plus pragmatiquement on estimera qu’un Philippe montant immédiatement sur le trône demeurait chose impensable au sortir de la crise de 541 jours, étant donné le rôle essentiel joué par Albert II.

L’objectif est donc de (re)modeler l’opinion et ceci en deux phases, et cela après une période préparatoire déjà évoquée, à savoir la cacophonie (en plateau) des devins et autres prophéties journaleuses et la valse cathodique des constitutionnalistes (ces chroniqueurs high-level de la médiasphère wallo-bruxelloise) pour légitimer le débat.

  • [Phase 2] Noircir l’aura ‘intouchable’ d’Albert II, ressortir (timing optimal) l’arme de destruction massive Delphine et, en renfort, le drone maternel en la personne de Sybille de Selys Longchamps. Test ADN, psychorigidité royale, à l’instar de Juan Carlos, co-bâtisseur de la démocratie espagnole, connaissant une chute de popularité sans égal suite à divers fiascos ultra-médiatisés, l’image d’Epinal d’Albert II commence à se craqueler.

Les Saxe-Cobourg-Gotha sont prévenus ; le « quatrième pouvoir » exige du changement, quitte à provoquer la première abdication médiatique de l’histoire (belge). « Bart reviens ! » doit-on se dire au Palais.

[1] Mc COMBS, M., SHAW, D. L., « The Evolution of Agenda-Setting : Twenty-Five Years in the Marketplace of Ideas », Journal of Communication, 43, n°2, 1993, p. 58-67.

[2] Vincent Kompany, figure centrale de la néo-belgitude. D’après différents témoignages relevés dans la presse, le leader de la N-VA Bart De Wever redouterait Kompany et les Diables.

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7 commentaires sur “Storytelling royal : vers une abdication médiatique ?

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  1. A reblogué ceci sur BELGIUM4ever and commented:
    Article à lire absolument, de Nicolas Baygert, chercheur au LASCO (Université catholique de Louvain), professeur invité à l’IHECS et consultant.

  2. En même temps, on sent bien que le roi des Belges actuel est visiblement crevé.

    Quand je vivais en Belgique il y a cinq ans déjà, la question de l’abdication faisait déjà débat.

    Toujours est-il qu’abdication ou pas, le moment est venue pour la monarchie belge de se moderniser sérieusement si elle ne souhaite pas passer à la trappe.

    1. « Le roi vit une annus horribilis, en Wallonie aussi quelques reportages très critiques sont parus sur lui. »

      Heureusement que j’ai publié mon post il y a dix jours…

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