Entretien donné pour la nouvelle revue française ComPol (MC Médias). Propos recueillis par Jérôme Vallette.
Enseignant-chercheur en communication politique à l’IHECS, Nicolas Baygert est directeur du think tankeuropéen Protagoras et d’origine allemande. Pour ComPol, il analyse le revirement de communication d’Angela Merkel sur l’accueil des réfugiés syriens.
Angela Merkel abandonne le slogan «Wir Schaffen das» (nous y arriverons, ndlr) qui a accompagné l’accueil des migrants depuis août 2015. Il était presque devenu «une formule vide de sens», dit-elle. Est-ce une rupture de sa communication ?
C’est effectivement un tournant dans sa communication. Mais ça marque surtout son entrée en campagne électorale – les élections fédérales auront lieu en 2017. Dans ce contexte, elle a besoin de faire son bilan. 2015 a certainement été son année la plus difficile. Cette marche arrière sur ce slogan est, pour les sceptiques de sa politique d’accueil, un mea culpa. Mais cela ressemble plus à une tentative d’explication de la séquence de crise sur le sujet que l’Allemagne vient de traverser. Et elle le fait avec beaucoup de pédagogie pour ne froisser personne dans son camp et au-delà. Elle a maintenu un cap, défendu une vision avec ces mots. Aujourd’hui, elle explique que l’Allemagne n’était finalement pas si prête.
C’est donc un revirement de communication, pas de politique ?
Elle va peut-être défendre avec moins d’enthousiasme le sujet migratoire d’ici les élections fédérales mais elle ne changera toutefois pas de cap. Elle a d’ailleurs confirmé que l’Allemagne resterait une terre d’accueil tant qu’elle serait là. Mais elle doit émettre un message vis-à-vis d’acteurs très importants de sa coalition comme la CSU (Christlich-Soziale Union in Bayern e. V, Union chrétienne-sociale en Bavière) bavaroise très sceptique sur cette politique migratoire. Mais aussi à l’égard des électeurs de l’AFD (Alternative für Deutschland, Alternative pour l’Allemagne) qui demandent a être entendus sur ces questions-là.
Comment s’y prend-elle pour «entendre» ce mécontentement ?
Elle reconnait que le défi était plus difficile que prévu, mais sans admettre qu’elle était – peut-être – dans une erreur fondamentale. C’est très difficile pour elle, justement parce que son parti la CDU (Christlich Demokratische Union, Union chrétienne-démocrate ) est un parti populaire – au sens où il s’adresse à tout le monde. Il faut donc qu’elle continue à parler le langage qui plaît à son électorat chrétien tout en s’adressant aussi à cette frange de droite conservatrice qui existe. Elle n’utilise pas d’éléments de langage qui sonnent «ultra droite». Elle assume les erreurs de parcours ou les problèmes apparus depuis l’été 2015 mais continue d’un autre côté à fustiger la politique dure prônée par l’AFD et la CSU sur le sujet.
Son slogan a pourtant drainé de nombreuses personnes en 2015 ?
En 2015, on était presque dans une communication à la Justin Trudeau sur ce point ! L’atmosphère générale liée à cette crise migratoire a éveillé dans un premier temps une solidarité forte qu’elle a accompagné avec cette communication. Un épisode à l’été 2015 a d’ailleurs marqué un tournant : sur un plateau de télévision, une jeune fille syrienne s’adressait à la chancelière sur le fait qu’elle voulait rester vivre en Allemagne. Angela Merkel lui a répondu avec pragmatisme que le pays ne pouvait pas accueillir tout le monde. La jeune fille a alors pleuré et, gênée, le chancelière s’est approchée pour la prendre dans ses bras. Elle semblait perdue devant cette réalité humaine. Ce bad buzz autour de son manque d’humanité apparent a changé quelque chose dans son discours et l’a poussé à être plus enthousiaste. Mais à cette époque, on était encore dans le concept de Willkommenskultur (culture de l’accueil) réelle en Allemagne. Aujourd’hui on est passé à une culture défensive. Il y a même une transformation de l’opinion vers une culture de la défiance, de la méfiance vis-à-vis des acteurs publics sous l’influence de l’AFD qui arrive à injecter sa vision du monde dans le mainstream politique.
Ce genre de slogan pouvait-il résister à l’épreuve du temps ?
D’une part, en Allemagne comme ailleurs, on est aujourd’hui dans un débat post-factuel ou post-truth comme disent les Américains. D’autre part, ce genre de slogan ne peut pas tenir longtemps. Il a d’ailleurs été détourné par ses opposants pour devenir : «Wir schaffen das doch nicht» (nous n’y arriverons certainement pas, ndlr). Il est utilisé de manière très péjorative, c’est presque un signe de ralliement contre Angela Merkel.
Comment s’est dessiné ce changement de communication ?
Je pense qu’on lui a demandé depuis de nombreux mois de revenir sur cette question au sein de la CDU où on lui a reproché une fuite en avant, une forme d’autisme, ce qui risquait à terme de faire imploser le parti.
Comment se présente sa nouvelle communication ?
C’est une pédagogie de l’action. Elle avait oublié en cours de route ce qu’elle faisait, au-delà du slogan. Elle n’a ni argumenté, ni rassuré l’électorat. Il y avait donc une nécessité à revenir sur la séquence pour l’expliquer. Et elle le fait en réintégrant une part d’émotion dans son discours. Jusque-là, elle se basait sur des faits et des chiffres en essayant d’objectiver de manière très précise. Mais elle a compris que cela ne suffisait pas et qu’il fallait réinvestir le pathos. Surtout face à des acrobates de l’émotion (Gefühlsakrobaten) qui jouent sur les peurs et les affects des citoyens. Elle a donc commencé à réintégrer une dimension humaine dans ses propos. Et admettre qu’elle a eu un problème c’est déjà une forme de ré-humanisation de son message. Ensuite, elle va intégrer des émotions pour s’intégrer à l’irrationnel et aux carences des électeurs qui disent ne pas avoir été entendus sur leurs craintes.
A court terme, elle va devoir proposer un programme de gouvernement et s’ajuster aux attentes d’éventuels futurs partenaires de coalition. Maintiendra-t-elle la ligne inclusive tenue jusqu’ici, s’adressant au centre (Die Mitte) ou optera-t-elle pour un durcissement de sa politique, soucieuse de répondre aux attentes d’un électorat de plus en plus sceptique ?. L’opinion allemande demeure à l’heure actuelle encore très tolérante en comparaison des pays voisins.
Propos recueillis par Jérôme Vallette
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