Entretien paru dans Le Soir, le 21 mars 2017 suite au débat à 5 diffusé sur TF1.
Les partis verrouillent toujours le débat politique en Belgique, tandis que la personnalisation des projets, en France, suscite davantage de passions, constate Nicolas Baygert.
Le succès d’audience du débat diffusé par TF1 lundi soir vous surprend-il ?
C’est la première fois qu’on voit s’affronter des personnalités – on pourrait presque parler de marques politiques – qui ont installé leur projet depuis plusieurs mois dans la campagne. Pour la première fois, leurs récits de campagne s’entrecroisaient, dans une sorte de rencontre de Champion’s League. Cela intéresse le citoyen. Ajoutez à cela une mise en scène spatiale du débat en forme d’arène, qui faisait penser à l’émission « Le maillon faible ». On est clairement dans une américanisation décomplexée de la campagne présidentielle en France, dans un affrontement de projets politiques incarnée par des personnalités charismatiques. Ce n’est pas du tout à l’ordre du jour en Belgique.
Pourquoi ?
La Belgique est toujours en particratie, pas encore en égocratie. Les partis ont toujours le monopole du discours et de l’affrontement politiques, y compris pour les rares débats politiques qu’on peut encore observer à la télévision. Les Belges, francophones en particulier, se passionnent pour la campagne française justement parce qu’il y a ici un manque d’incarnation, de projet original aussi, qui arrive à percer un certain degré de notoriété. Les candidats qui se démarquent sont très vite remis dans le rang par leur parti. C’est à la fois sain d’un point de vue démocratique de ne pas voir émerger des leaders un peu farfelus, mais cela empêche dans le même temps un renouvellement de la classe politique et un certain degré de passion et d’originalité dans le débat.
C’est lié au système proportionnel, qui nécessite peut-être davantage de rondeur dans les propos ?
Cela fait partie de l’ADN du leader politique belge, en tout cas côté francophone. C’est aussi une question de culture politique : le sens de la dialectique, de la rhétorique, fait partie de certaines cultures politiques, pas de la nôtre. Les personnalités qui à l’étranger seraient perçues comme charismatiques sont très rapidement décriées, taxée d’arrogance, en Belgique, ce qui les disqualifie d’emblée.
Hors périodes électorales, les ténors politiques ne débattent quasi jamais. Dommage ?
Il y a aujourd’hui une stratégie d’évitement par rapport aux débats de la part des leaders politiques. Ils ont peur d’y laisser des plumes. Certains acteurs se mettent rapidement en pilote automatique, ce qu’on appelle la langue de bois. Très vite, on en vient à une juxtaposition d’éléments de langage, pas dans un débat d’idées, dans un échange. Une sorte de pacte de non-agression domine toujours. On sait qu’on va devoir former une coalition, négocier.
Cette absence de vigueur des débats explique-t-elle le désintérêt des téléspectateurs belges pour les émissions politiques dominicales ?
Certainement. Dans plusieurs pays, les primaires permettent de faire émerger des personnalités. Il s’agit parfois de surprises, parce que l’électeur veut déjouer les pronostics et ne veut pas se laisser imposer un candidat. C’est sain. Ça permet un contrôle sur le personnel politique, une ouverture du jeu. Peut-on l’imaginer au PS ou au MR ? Pourquoi pas ! Je suis sûr que ça passionnerait. Cela chamboulerait peut-être les partis. Mais n’est-ce pas cela qu’attend le citoyen aujourd’hui ? Le renouvellement politique peut se faire sous forme d’un spectacle, critiquable en soi, mais qui permet aussi une sorte de réinvestissement dans la politique. Le militantisme traditionnel est en déclin. On se passionne aujourd’hui davantage pour des personnalités qui crèvent l’écran.
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