Les « Real News » de Donald Trump : dangers des médias d’État

Interview pour Paris Match Belgique parue le 8 août 2017. Texte et propos recueillis par Brieuc Beckers.

Le 31 juillet dernier, Donald Trump lançait sur sa page Facebook un nouveau format de vidéos : une émission de « Real News » qui reprend toute l’actualité du président des États-Unis. Toute l’actualité vue par le président himself bien entendu.

Quand Donald J Trump parle de Donald J Trump, tout est beau, tout est parfait. Dans l’une de ses nouvelles vidéos hebdomadaires, Donald Trump a reversé une fois de plus l’entièreté de son salaire présidentiel. A qui ? Un détail bien sûr. On y apprend aussi qu’il a depuis son investiture déjà généré plus d’un million d’emplois et qu’il a remis l’Économie américaine sur le droit-chemin. Une actualité triée sur le volet et qui néglige certains évènements de l’actualité.

Si dans un premier temps, l’émission était présentée par la belle-fille du président, Lara Trump, ancienne productrice d’« Inside Edition », une émission de la chaîne CBS. Depuis cette semaine, c’est Kayleigh McEnany, ancienne commentatrice politique de la chaîne d’informations en continu CNN, qui a été choisie pour présenter la capsule. Résultat : un visage très connu du grand public qui présente désormais les actualités triées par Trump et son équipe dans un décor rappelant sans la moindre nuance un plateau de JT. Même si pour l’instant, le dispositif mis en place reste relativement sommaire. On est loin des plateaux lumineux des grandes chaînes mais l’effet est là. Les capsules restent sobres, présentées devant un simple panneau bleu reprenant quelques logos et slogans de la campagne. À voir jusqu’où l’équipe du président est prête à se donner les moyens. Bienvenue dans une nouvelle dimension où l’information devient ré-information.

©YouTube – Kayleigh McEnany sur CNN.

Selon Nicolas Baygert, docteur en sciences de l’information et de la communication, « C’est le prolongement d’une coupure avec les médias traditionnels. Depuis le début de son mandat, Donald Trump est en guerre ouverte contre les chaînes d’information mainstream. Il a maintenant la volonté de s’émanciper de ces canaux traditionnels pour devenir lui-même un média. […] C’est un message adressé aux journalistes, ‘On n’a plus besoin de vous’ ».

Une initiative qui intrigue et qui inquiète

L’émission est diffusée de manière hebdomadaire (dans un premier temps) sur la page Facebook du président déjà suivie par près de 24 millions de personnes. L’audience est donc large et susceptible de ramener beaucoup plus de monde. Cette initiative de « contre-offre » intrigue et inquiète. Surtout vu la fragmentation actuelle de la société américaine, cette même société qui avait déjà placé Donald Trump au sommet de l’État en janvier dernier. Un clivage qui se révèle entre autres dans le paysage médiatique. Comme l’explique Nicolas Baygert, « Il y a une reconfiguration qui est en train de se mettre en place avec des visions du monde qui ne dialoguent plus, où chaque camp a sa vision du monde et se retrouve dans le récit médiatique proposé par certains grands médias. Et puis il y a les autres qui ne s’y retrouvent plus du tout. C’est pour ce public-là qu’il y a cette volonté stratégique de mettre en place une autre plateforme ». Une stratégie réfléchie par le staff du président qui pourrait donc se révéler payante. Le premier épisode de ces « Weekly Updates » a entre-temps déjà été visionné plus de 2,3 millions de fois.

Nicolas Baygert ajoute que « Le danger c’est une forme de désinformation, une forme de recadrage de l’actualité qui ne laisse plus de place à la critique ni à un traitement plus raisonné de l’actualité présidentielle ». En détournant le filtre journalistique supposément déontologique, Trump choisit la voie de communication directe avec les citoyens. Plus de filtre, plus de contre-argument, plus d’analyse : l’information passe directement du producteur au consommateur. Ou devrait-on dire la communication plutôt que l’information ?

L’information : un nouveau modèle concurrentiel

Cette nouvelle donne est peut-être salutaire pour une presse qui n’avait pas prédit ni réellement anticiper la victoire de Donald Trump. La véracité et vérification des informations occupent une place toute particulière depuis quelques mois. La lutte contre les « Fake News » anime less les rédactions. Parmi les nombreuses initiatives, on trouve en France la plateforme « Les Décodeurs » développée par le journal Le Monde. Au niveau mondial, « Wikitribune », la récente initiative de Jimmy Wales, fondateur de Wikipédia, s’essaye au journalisme participatif. Cependant, selon Nicolas Baygert « Les producteurs d’information classique ont une trop grande confiance dans le côté rationnel des consommateurs d’information et un sous-investissement de l’émotionnel. […] Le public de Donald Trump est en mesure de lui pardonner beaucoup de choses. Il faut à mon sens investir également la dimension émotionnelle et repassionner le débat. Car on est désormais dans un contexte concurrentiel où même si on a la bonne réponse, ça ne suffit plus. C’est le monde de l’interprétation qui prédomine, le monde des vérités alternatives. Le factuel, quant à lui, perd selon moi de son importance et ne suffira plus à l’avenir ».

Kayleigh McEnany termine le bulletin d’information de cette semaine en scandant « This is the Real News » (« C’était les Vraies Informations »). L’interprétation du réel devient donc effectivement une question centrale.

Semer le doute

C’est précisément là que Trump excelle. Il a déjà largement prouvé lors de sa campagne que la vérité est pour lui souvent moins importante que la vision du monde qu’il tente de créer ou auquel il veut faire croire. On se souvient ainsi de ses discours sur le taux de chômage. Celui-ci était à l’époque officiellement estimé à 5% mais Trump répétait à longueur de meetings que le chiffre était « bidon » et que le « vrai taux » était en réalité de 28%. Nicolas Baygert analyse cette stratégie selon laquelle « Trump a compris que par un excès de dérapages et une hystérisation de l’information, à un moment donné, le récit finira par pencher vers cette réalité qu’il a fabriquée ».

« Le fait d’avoir cette contre-offre informationnelle soutenue par Donald Trump face aux chaînes traditionnelles, ça peut faire douter le téléspectateur. Développer cette théorie du complot selon laquelle les grands médias auraient tous la même lecture du réel. Une théorie qui peut séduire une certaine audience ».

La campagne éternelle

Autre détail interpellant, la plateforme mise sur pied par l’équipe de Trump pour accompagner ses « Weekly Updates » ressemble à s’y méprendre à un site de campagne : vente de t-shirts « Build the Wall » et casquettes « Make America Great Again », appel aux dons et aux soutiens… L’expert confirme : « Trump n’a jamais vraiment cessé d’être en campagne. Il reste dans une posture relativement combattante vis-à-vis du reste de la classe politique et des médias. Il traite les consommateurs de médias comme des supporters et leur demande de relayer cette réalité façonnée par l’équipe Trump ».

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