Entretien croisé avec Jean-Benoît Pilet (ULB) pour 7sur7.be paru le 5 juin 2019. Propos recueillis par Maxime Czupryk.
Exclu des négociations en Flandre et sans doute écarté au niveau fédéral, le PTB peut légitimement espérer monter au pouvoir en Wallonie et à Bruxelles, deux régions où le parti marxiste a réalisé une forte percée. Mais le PTB est-il vraiment prêt à mettre suffisamment d’eau dans son vin rouge pour entrer dans des majorités? Rien n’est moins sûr… Pas certain non plus que les autres partis, PS en tête, soient réellement “chauds boulette”, comme dirait Raoul Hedebouw, à l’idée de s’allier au PTB.
Si le Vlaams Belang est l’incontestable vainqueur des élections au nord du pays, son opposé sur l’échiquier politique, le PTB-PvdA, unique parti national, a réalisé une performance historique en Wallonie et à Bruxelles, où il compte désormais deux fois dix élus, tout en réussissant la prouesse d’en envoyer quatre sur les bancs du Parlement flamand. À la Chambre, la gauche radicale pourra désormais compter sur un groupe de douze parlementaires pour faire entendre sa voix.
Le PTB exclu côté flamand, certainement au fédéral et probablement à Bruxelles
Le Parti du Travail est désormais un parti qui compte en Belgique francophone. Une forte représentation parlementaire qui laisse supposer une éventuelle montée au pouvoir. En théorie. Exclu sans surprise des négociations côté flamand, on n’imagine pas non plus l’arrivée de ministres marxistes au fédéral, compte tenu des exclusives lancées par la plupart des partis flamands, par le MR et a priori par le cdH côté francophone. Restent donc les gouvernements régionaux wallon et bruxellois (et celui de la FWB), où le Parti socialiste a pris la main et a ouvert les discussions au PTB.
Si tout reste ouvert à Bruxelles, dixit Rudi Vervoort, on imagine néanmoins mal une participation du PTB au futur gouvernement de la Région-Capitale. D’une part car les socialistes bruxellois semblent favorables à reconduire leur alliance avec DéFI, en y incluant l’autre vainqueur au centre du pays, Ecolo, en lieu et place d’un cdH en toute petite forme. D’autre part parce que le PTB a d’ores et déjà annoncé qu’il ne monterait pas au pouvoir à Bruxelles sans le PvdA côté flamand. Groen, one.brussels et l’Open VLD ne l’entendent pas de cette oreille…
Trop radical, le PTB?
En Wallonie, Raoul Hedebouw et ses camarades Peter Mertens et Germain Mugemangango ont été reçus par Elio Di Rupo et Paul Magnette ce mardi au Parlement de Wallonie pour un premier tour de consultations avec le PS. Et les deux parties se reverront la semaine prochaine pour un deuxième tour de table. Cependant, une alliance entre la gauche social démocrate et la gauche radicale est-elle plausible?
“C’est possible, mais peu probable”, nous répond d’emblée Jean-Benoît Pilet, politologue à l’ULB. Pour étayer ses propos, l’expert nous renvoie aux fondements idéologiques du parti de Raoul Hedebouw. “Le PTB a en son sein une frange prônant une transformation radicale de la société, qui n’est pas pour le réformisme comme moyen d’action politique mais plutôt pour entraîner un grand bouleversement quand le rapport de force au Parlement et encore plus dans la rue le lui permettra. C’est sur ce modèle-là que le PTB a été construit”, rappelle l’expert. Une frange qui, selon Jean-Benoît Pilet, accepte de jouer le jeu politique, voire de participer au pouvoir mais à la condition d’emmener des réformes radicales avec elle comme, par exemple, la sortie des traités européens. Une fin de non-recevoir pour des alliés potentiels tels que le PS ou Ecolo. “La montée au pouvoir du PTB me paraît en ce sens peu probable car c’est justement cette frange radicale qui contrôle encore et toujours les organes de décision du PTB. C’est le coeur du parti”, souligne le politologue.
Des compromis, pas des compromissions
Les dés seraient-ils déjà pipés? Pas forcément, ajoute toutefois Jean-Benoît Pilet. “Il existe également une frange plus réformiste au sein du PTB. Celle qui souhaite la pension à 65 ans, l’élévation des minima sociaux et la gratuité des transports en commun”, fait-il remarquer. Des PTBéistes modérés qui pourraient s’entendre avec les socialistes en vue de former une coalition de gauche. Mais pour ce faire, il faudrait que cette partie modérée prenne le dessus sur la radicale. “Ce qui n’est pas arrivé jusqu’à présent, on l’a vu après les élections communales”, insiste l’expert.
Cela dit, force est de constater que le PTB a semble-t-il changé d’attitude par rapport au mois d’octobre dernier. Cette fois-ci, le parti laisse entendre qu’il est prêt à “faire des compromis, mais pas des compromissions”, comme l’a répété son porte-parole Raoul Hedebouw. “Cela signifie que le PTB est disposé à lâcher quelques unes de ses propositions, mais n’a pour autant pas l’intention de brader ses idéaux, sa pureté et cette radicalité intransigeante qui est justement à l’origine de la dynamique de croissance du PTB ces dernières années”, décrypte Nicolas Baygert, professeur en communication politique à l’IHECS et à l’ULB.
PS et Ecolo sous pression
Plusieurs facteurs ont poussé le parti marxiste-léniniste à adopter cette attitude plutôt constructive. “D’une part, le parti veut démontrer que le vote PTB n’est pas inutile, comme le PS l’a martelé durant la campagne”, souligne Nicolas Baygert. Il incombe donc au PTB de montrer sa bonne volonté, médiatiquement parlant, et de s’afficher comme une formation politique respectable. C’est précisément la posture adoptée par le Vlaams Belang, note M. Baygert. Une attitude qui permettrait ensuite au PTB d’enclencher un processus de victimisation si les choses venaient à mal tourner. Lisez: s’il est exclu des négociations.
Mais selon Nicolas Baygert, PTB et PS pourraient éventuellement s’accorder au niveau wallon. D’autant plus que les socialistes sont mis sous pression par la FGTB depuis plusieurs mois pour s’entendre avec l’extrême gauche. Rappelons toutefois que les seuls PS et PTB ne disposent pas d’une majorité au Parlement wallon et ont besoin d’un troisième partenaire pour faire le compte: Ecolo. Des écologistes poussés dans leurs retranchements par le PTB qui les presse de choisir leur camp entre la gauche et la droite, “ce qui n’est jamais évident pour l’écologie politique”, rappelle le professeur Baygert.
Le PTB a-t-il intérêt à monter au pouvoir?
Une question se pose: le PTB a-t-il de toute façon intérêt à monter au pouvoir? Là aussi, Jean-Benoît Pilet se veut nuancé. “On constate qu’il est plus simple électoralement parlant d’être dans l’opposition plutôt que de prendre ses responsabilités et gouverner”, dit-il. Ainsi, les marxistes n’auraient aucun problème à se maintenir dans l’opposition, surtout si le PS venait à s’allier au MR (une situation qui semble tenir la corde en Wallonie, N.D.L.R.), en attendant de récupérer encore davantage d’électeurs déçus par la gauche classique en 2024.
Toutefois, gare à la scission interne, prévient M. Pilet. “L’électeur peut se lasser d’un parti qui ne monte jamais au pouvoir, comme le Vlaams Belang a pu le constater en 2010 et 2014″, souligne-t-il. “Le PTB grandit et attire désormais des personnes de gauche plutôt affirmée que radicale. Des militants qui ne prônent pas la prise de pouvoir par la rue. Le risque de division interne est bien réel si le PTB rechigne à prendre ses responsabilités.”
“Au PS, personne n’y croit vraiment”
De son côté, le PS, qui ne cesse d’affirmer son envie de former des majorités “les plus progressistes possibles”, est-il vraiment ouvert à une alliance avec le PTB? “Je pense que personne n’y croit vraiment”, lance sans détour notre expert. “Cependant, les socialistes se rendront peut-être compte qu’il est possible d’établir un programme avec des convergences sur des points pratiques et pragmatiques. Mais je le répète, cela me parait peu probable”, conclut Jean-Benoît Pilet.
Selon Nicolas Baygert, une alliance PS-PTB pourrait se révéler dangereuse pour les deux protagonistes. Le risque pour le PTB serait de perdre cette radicalité de formation de rupture en s’alliant aux partis traditionnels. Et contrairement à d’autres pays européens où des partis “antisystèmes” ont pu s’allier pour former une majorité (le Mouvement 5 étoiles et la Ligue de Matteo Salvini en Italie, par exemple), le PTB n’a d’autre choix que de faire équipe avec un ou plusieurs partis traditionnels, souligne M. Baygert. Ce qui pourrait le discréditer aux yeux de ses électeurs les plus radicaux.
Alliance risquée
Le risque pour le PS serait d’apparaître comme une pâle copie d’un PTB résolument tourné vers la gauche. “Lorsqu’un parti fait alliance avec un partenaire plus radical mais qui partage un socle idéologique commun, il arrive fréquemment que l’une des deux parties soit phagocytée par l’autre. Et en général, c’est le plus radical qui tire profit de cette collaboration”, prévient Nicolas Baygert.
Bref, l’option d’une Wallonie rouge vif ne semble pas encore tenir la corde.
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