Pourquoi la N-VA débourse-t-elle des centaines de milliers d’euros pour une pub sur la maltraitance animale?

Interview pour Moustique paru le 12 février 2024. Propos recueillis par Kevin Dupont.

Depuis plusieurs années, la N-VA investit des sommes folles pour relayer un maximum un message sur la maltraitance animale. Le fruit d’un calcul politique bien réfléchi.

En scrollant dernièrement sur les réseaux sociaux, de très nombreux Belges ont pu voir, un peu par hasard, un contenu sponsorisé avec une photo d’un chien, manifestement triste. En commentaire, un message en néerlandais s’adressant directement à eux: « Like si tu trouves, toi aussi, qu’on doit sanctionner plus sévèrement la maltraitance animale« . Non, il ne s’agit pas de la nouvelle campagne d’une association comme Gaia, mais de celle de la N-VA!

Selon le décompte du collectif Adlens, relayé par la RTBF, le parti de Bart De Wever a dépensé pas moins de 300.000 euros pour que cette publication soit mise en valeur par Meta, c’est-à-dire sur Facebook et Instagram. Aucun parti n’a investi une telle somme auprès de Meta en Belgique en 2023, mais il ne s’agit pas d’une première. Ce post a en réalité été créé en 2019 et depuis, il enchaîne les records du genre. En 2021, les nationalistes flamands avaient déjà déboursé 175.000 euros pour celui-ci, remarque le Standaard. Déjà à l’époque, il s’agissait de la publication la plus chère du pays pour un parti politique. Idem il y a un an, avec 230.000 euros, selon De Morgen.

Ces sommes colossales peuvent surprendre, surtout lorsque l’on sait qu’aucun parti francophone n’a dépensé une telle somme sur toute l’année 2023, toutes publications comprises (le PTB étant premier, avec 179.682 euros au total). Mais pour la N-VA, il s’agit d’un investissement extrêmement stratégique, et ce encore plus aujourd’hui avec l’arrivée des élections.

Quand la droite et l’extrême-droite aiment se montrer avec les animaux

D’après Nicolas Baygert, docteur en sciences de l’information et de la communication et enseignant-chercheur à l’Ihecs et à Sciences Po Paris, plusieurs raisons motivent la N-VA. « La première, c’est qu’en Flandre, c’est Ben Weyts qui est ministre du Bien-être animal« , explique-t-il. Un poste qu’il a lui-même créé en 2014, et qu’il n’a pas quitté depuis. L’an dernier, il a par exemple créé un nouveau code prévoyant notamment l’interdiction de la vente de certains animaux dans les marchés, la fin de l’abattage à domicile, et plusieurs sanctions en cas d’infraction. « C’est donc un sujet incarné par une personnalité de la N-VA qui est clairement identifiée par l’électeur flamand« , note l’universitaire.

Mais ce dernier note aussi que tactiquement parlant, la maltraitance animale représente un sujet consensuel et porteur sur lequel la N-VA veut capitaliser à fond. Car qui n’est pas pour le bien-être animal? En 2016, une étude de la Commission européenne montrait que 71% des Belges voulaient une meilleure protection pour les animaux dans les fermes. 70% demandaient la même chose pour les animaux de compagnie.

Nicolas Baygert remarque d’ailleurs qu’en Europe, d’autres partis identitaires et d’extrême-droite l’ont également compris. En 2012, l’un des premiers coups d’éclat médiatiques de Marine Le Pen, c’était lorsqu’elle s’était opposée à l’abattage rituel. Côté français toujours, le Rassemblement national (RN) a rédigé tout un livret consacré à la protection des animaux. En Italie et aux Pays-Bas, Matteo Salvini et Geert Wilders se photographient souvent aux côtés de chiens ou de chats.

Une façon de se distinguer sur l’échiquier politique flamand

En Belgique, c’est la N-VA qui fait de même. Ce qui lui permet aussi d’affronter son principal adversaire, le Vlaams Belang, en prenant comme champ de bataille la sempiternelle question de l’abattage sans étourdissement, et donc de l’islam. Il s’agit aussi d’un moyen de concurrencer Groen, troisième parti de Flandre selon les derniers sondages. À noter d’ailleurs que depuis 2022, ces deux autres partis ont eux aussi publié des appels à lutter pour le bien-être animal sur les réseaux sociaux. Du côté du Vlaams Belang, on voit ainsi apparaître des photos de chats. Chez Groen, les écologistes demandent à fournir des bols d’eau aux animaux.

« On a aussi l’apparition dans différents scrutins de partis animalistes ou de formations antispécistes. Cela prouve que politiquement, ce mouvement de défense des animaux est en train de se structurer en offre politique. Les partis politiques ont donc intérêt d’inclure ces préoccupations dans leurs programmes« , explique Nicolas Baygert. « Le RN l’a fait en France et de grands noms français de la cause animale, comme Brigitte Bardot, ont eu tendance à rejoindre l’extrême-droite« .

Où sont les partis francophones?

Au sud du pays, ces enjeux sont moins présents, sans être pour autant oubliés. « Il faut rappeler que le bien-être animal est une compétence régionale, d’où des réponses différentes entre régions« , rappelle l’expert. « À Bruxelles, c’est plutôt laissé à des structures comme Bruxelles-Environnement et en Wallonie, il y a la question de la chasse » qui entre en conflit, remarque-t-il. « En France, il est par ailleurs intéressant de voir que le RN communique beaucoup sur l’abattage rituel mais beaucoup moins sur la chasse et la corrida. Puisque l’extrême-droite se présente comme défenseuse du patrimoine et de la tradition, il y a une sorte de contradiction« .

Les partis belges francophones ne capitalisent donc pas autant que la N-VA sur le sujet. Lorsqu’il en est question, c’est surtout via l’Union européenne. C’est par exemple le cas lorsque celle-ci adopte de nouvelles règles que chaque État membre doit transposer dans sa législation. La maltraitance animale représente également une des problématiques abordées par la présidence belge de l’UE.

La N-VA veut faire oublier les scandales en se montrant active

Dans ce contexte, la personnalité politique qui capitalise le plus sur la maltraitance animale, cela reste donc Ben Weyts. En 2022, selon un décompte du Nieuwsblad, sur ses neufs publications sponsorisées sur Meta, sept concernaient le bien-être animal. Ses deux autres concernaient ses autres attributions, qui ne sont pourtant pas anecdotiques puisqu’il s’agit de l’Éducation et des Sports.

Une insistance qui peut paraître toutefois paradoxale, au vu des scandales à répétition dans les élevages flamands, comme dans ceux de dindes, de lapins, etc. Des points noirs dans le bilan de Ben Weyts. Mais comme le précise Nicolas Baygert, le public ne retient pas forcément cet aspect lorsqu’il est l’heure de se rendre aux urnes.

« Les citoyens ne savent pas forcément se positionner sur tel ou tel enjeu politique, mais ils tiennent à leurs animaux et ils savent que la N-VA se bat pour des règles plus strictes pour les animaux via ces publications sur les réseaux sociaux« , réagit-il. « Je pense que le plus important pour l’électeur, c’est de percevoir que la N-VA prend le sujet au sérieux et soit réactif avec des mesures concrètes. Sur ces éléments-là, la N-VA peut communiquer sans s’opposer à des personnes qui ne seraient pas d’accord. C’est une thématique sur laquelle elle ne peut que gagner des points et c’est plutôt malin de leur part« .

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